Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article BOEOTICUM FOEDUS

BOEOTICUM FOEDUS. Si haut que l'on remonte dans l'histoire de la Béotie, on y trouve des traces de fédération. Les traditions homériques rapportent que, autemps de la guerre de Troie, il y avait déjà deux groupes de cités, réunies les unes autour de Thèbes (cités béotiennes), les autres autour d'Orchomène (cités minyennes) 1. Plus tard, une fusion s'opéra entre les deux groupes, et la ligue prit le nom de Ligue béotienne On admet généralement que la ligue, à son origine, se composa de quatorze grandes cités, dont la plupart avaient sous leur puissance des localités moins importantes ; ce nombre de quatorze cités permet d'expliquer la préférence que les Béotiens ont plusieurs fois témoignée pour le chiffre 14 a. Seulement les historiens ne sont plus d'accord lorsqu'ils veulent déterminer quelles étaient les cités fédérées. Si nous consultons successivement O. Müller, Klütz, Kruse, Bœchh, Hermann et K.-W. Müller, nous constatons qu'ils sont unanimes pour désigner Thèbes, Orchomène, Lébadée, Coronée, Copae, Haliarte, Thespies, Anthedon et Chalia ° ; Tanagre, Platée, Oropos et Chéronée obtiennent cinq suffrages ; Eleuthère et Larymna, trois ; Ancheste, deux ; Ocalée et Acraephia, un seulement. Nous n'avons pas à discuter ici ces attributions contradictoires ; nous nous bornerons à faire remarquer que, à l'époque de la guerre du Péloponèse, Thucydide ° présente comme indépendants les Thébains, les Orchoméniens, les Coronéens, les Copéens, les Haliartiens, les Thespiens et les Tanagriens. D'autres Béotiens jouissaient sans doute à la même époque de l'indépendance ; mais, en l'absence de textes, on ne peut les nommer avec certitude. Ce qui nous paraît incontestable, c'est que le nombre des cités fédérées varia avec les temps. Parmi les villes que nous venons de citer, Eleuthère se détacha de bonne heure de la Béotie pour se rattacher à l'Attique. Platée suivit son exemple en 519, et, lors de cette scission, il fut reconnu que les Thébains ne pouvaient pas inquiéter les Béotiens qui ne voulaient plus continuer d'appartenir à la confédération a; plus tard, Platée fit de nouveau partie de la ligue. Oropos appartint tantôt aux Athéniens, tantôt aux Béotiens. Larymna quitta les Locriens Opontiens pour se joindre à la Béotie'. Vers la fin du troisième siècle avant notre ère, Mégare abandonna les Achéens et entra dans la ligue béotienne ; puis, après quelques années, elle retourna aux Achéens 9; trois siècles plus tard, on la retrouve dans la fédération des Béotiens 9. D'autres cités, sans changer de nationalité, perdaient leur indépendance et n'étaient plus représentées dans les conseils de la fédération. Au temps de la guerre du Péloponèse, Chéronée, autrefois indépendante 10, était soumise à la domination d'Orchomène Réciproquement, des cités jusqu'alors soumises, devenaient libres. Un sénatus-consulte de l'an 170 av. J.-C. prouve que Thisbé, qui autrefois dépendait de Thespies, était alors indépendante' s. Acraephia, soumise pendant un temps à la domination de Thèbes, est libre plus tard". Il est bien difficile, à cause de tous ces changements, de dire quel fut, à une époque déterminée, le nombre des cités fédérées. De bonne heure, Thèbes, dont le territoire à lui seul formait presque le tiers de la Béotie, manifesta et réalisa l'intention d'occuper dans la ligue une place prépondérante. Orchomène seule pouvait lui disputer le premier rang, soit à cause de son importance, soit surtout à raison de son antiquité légendaire. Les Orchoméniens prétendaient même que leur ville avait été autrefois la cité dominante et que Thèbes lui payait alors un tribut". Mais, en fait, c'est toujours Thèbes que l'on rencontre à la tète 130E 715 ® 130E de la ligue. Sa suprématie fut souvent dure et oppressive et quelques cités ne l'acceptaient qu'avec une répugnance marquée 75. On sait combien les Thébains maltraitèrent Platée, à tel point que cette ville se détacha de la ligue. L'hégémonie de Thèbes et la cohérence de la fédération furent sensiblement ébranlées, peut-être même suspendues,àla suite des guerres médiques. C'était la conséquence du rôle que l'aristocratie thébaine (iuvaarefa) avait joué lors de l'invasion des Perses. Si Thèbes eût essayé alors d'imposer ses volontés aux autres villes béotiennes, elle aurait eu contre elle la Grèce entière, Il est même probable que plusieurs des villes fédérées auraient volontiers suivi l'exemple de Platée, qu'elles se seraient séparées de la fédération et qu'elles seraient devenues les alliées d'Athènes, si Sparte n'y eût mis obstacle. Sparte, qui habituellement était très-peu favorable aux agrégations de cités, se résolut, en effet, au bout de quelques années (en 457 av. J.-C.), à reconstituer, en haine des Athéniens, la confédération béotienne et à relever l'influence de Thèbes 16. Cette nouvelle hégémonie ne fut pas plus qu'autrefois exempte de résistances. Les historiens grecs parlent de guerres que les Thébains eurent à soutenir contre les Orchoméniens et contre les Thespiens guerres assez longues pour que le mérite de la cavalerie thébaine ait été notablement augmenté 1" ? En 387 av. J.-C., lors de la conclusion de la paix d'Antalkidas, la stipulation que toutes les cités helléniques, grandes ou petites, devaient être autonomes, entraîna la dissolution momentanée de la fédération béotienne. Les Thébains essayèrent bien de protester; mais Agésilas et les Spartiates insistèrent, et Thèbes fut obligée de reconnaître l'autonomie des autres cités de la Béotie 19. Sparte déclara même qu'elle se chargeait de la défense de cette autonomie contre les dangers que Thèbes pouvait lui faire courir. Aussi organisa-t-elle, dans chaque cité, une oligarchie locale, hostile à Thèbes, favorable aux Spartiates, et soutenue, en cas de besoin, par une garnison lacédémonienne "°. Vers l'année 374, les Thébains renversèrent toutes ces oligarchies locales et rétablirent la confédération béotienne. Thèbes reprit ses anciens priviléges de métropole et promit seulement aux cités qui se joignirent à elle l'indépendance restreinte dont elles avaient joui avant la paix d'Antalkidas21. Les Piatéens rentrèrent alors, contraints et forcés, dans la fédération. Firent-ils quelques tentatives pour échapper à la rudesse de la présidence thébaine? Ce qui est certain, c'est que, en 372, une armée de Thébains fondit à l'improviste sur Platée. Les habitants, pris au dépourvu, durent subir la loi du vainqueur. Ils partirent pour l'Attique avec leurs femmes, leurs enfants et leurs biens ; leur ville fut rasée et leur territoire fut annexé à Thèbes °°. Thespies eut presque le même sort 23. En 371 av. J.-C., lors du grand congrès de Sparte, la suprématie, devenue véritablement odieuse, de Thèbes sur les autres cités béotiennes fut vivement attaquée; l'existence même de la ligue fut mise en question. Les membres influents du congrès voulaient faire prévaloir de nouveau les bases de la paix d'Antalkidas. Épaminondas défendit avec énergie les priviléges thébains ; il soutint que le pouvoir présidentiel de Thèbes et le système fédéral dont il faisait partie étaient à l'abri de toute atteinte résultant de décisions des congrès helléniques. Cette résistance prolongée fit exclure les Thébains de la paix générale n. La victoire de Leuctres fut l'éloquente protestation d'Épaminondas contre cette exclusion "5. Non-seulement Thèbes maintint son hégémonie ; mais encore, en 366, elle reprit Oropos aux Athéniens 26 ; en 363, profitant d'une révolution tentée par la noblesse d'Orchomène, elle détruisit cette ville, mit à mort tous les adultes mâles, vendit comme esclaves les femmes et les enfants L7. Elle se trouva donc, à cette époque, entièrement maîtresse des anciens territoires d'Orchomène, de Chéronée, de Platée, de Thespies et d'Oropos, et nulle cité ne put raisonnablement espérer échapper à sa prééminence n". Philippe de Macédoine, après sa victoire de Chéronée, rétablit Orchomène et Platée 29, peut-être même Thespies et Chéronée, dans leur ancienne indépendance. Il restitua Oropos aux Athéniens 36. Après sa mort, son fils Alexandre ruina Thèbes et répartit le territoire de cette ville entre ses anciennes ennemies, Platée et Orchomène 31. Vers 314, Cassandre rétablit Thèbes et lui rendit son territoire n ; mais il est probable que cette ville ne regagna jamais l'influence qu'elle avait perdue. La Béotie, vers 290, se révolta contre Démétrius Poliorcète ; elle fut promptement vaincue. Mais le vainqueur traita les Béotiens avec humanité et punit seulement les auteurs de l'insurrection 33 En 245, les Étoliens infligèrent aux troupes de la ligue une sanglante défaite à Chéronée. Un béotarque et plus de mille soldats restèrent sur le champ de bataille 34 L'importance de la ligue alla toujours en diminuant. Au commencement du ne siècle avant notre ère, on la trouve encore 85; mais elle est bien effacée par l'éclat que jettent alors deux autres ligues, la ligue achéenne et la ligue étolienne. Lors de l'expédition d'Antiochus III en Grèce, la confédération béotienne adopta le parti de ce prince. Polybe 38 fait une triste peinture de la Béotie à ce moment critique. Depuis vingt-cinq ans, dit-il, le cours de la justice est suspendu; les magistrats distribuent aux pauvres tout l'argent du trésor public; les citoyens ne pensent qu'à boire et à manger. Ceux qui meurent sans énfants lèguent leur fortune, non pas, comme autrefois, à leurs parents, mais à des amis chargés de l'employer en festins. Ceux qui ont une postérité donnent aux syssities la meilleure partie de leur avoir, a si bien que beaucoup de Béotiens ont chaque mois plus de dîners que le mois n'a de jours. » L'armée du roi de Syrie, cantonnée en Béotie, y passa joyeusement l'hiver; aussi, quand les Romains parurent avec leurs légions bien disciplinées, la résistance fut de courte durée et toutes les cités ouvrirent leurs portes. Plus tard, en 171 av. J.-C., quand la guerre éclata entre Rome et Persée, le pouvoir exécutif de la confédération béotienne offrit de marcher d'accord avec Rome ; mais les BOE -716BOE légats de la république envoyés en Grèce refusèrent d'entrer en relations avec la ligue 37. Ils exigèrent que chaque cité exprimât une opinion particulière et manifestât individuellement ses préférences ou ses antipathies pour Rome u; moyen ingénieux de dissoudre, sinon en droit38, au moins en fait, la confédération. Le résultat répondit à l'attente des Romains. Les cités, se voyant isolées les unes des autres, n'osèrent pas résister. Trois villes seulement, Ilaliarte, Coronée et Thisbé (non pas Thèbes, comme Polybe et Tite-Live paraissent le dire par suite d'une erreur de copiste) se prononcèrent pour les Lacédémoniens 9. Ballade fut immédiatement assiégée, conquise et détruite ; presque tous ses habitants périrent 61 Thisbé fut obligée de se soumettre à la domination romaine au moyen de la deditio; elle obtint la restitution de son territoire, mais elle dut payer un tribut `$. Coronée fut traitée à peu près de la même manière "i3. Mais la ligue ne tarda pas à se reformer ; car, peu d'années après la guerre de Macédoine, on rencontre un béotarque parmi les adversaires de Métellus 64 (146 av. J.-C.). Quand ils eurent détruit Corinthe, les Romains ordonnèrent la dissolution de toutes les ligues, de la ligue béotienne entre autres u. Ils étaient alors convaincus que, pour la sécurité de leur empire en Grèce, il fallait que chaque cité fût complétement indépendante des cités voines. Ils poussaient même la rigueur sur ce point jusqu'à défendre aux citoyens d'un État de posséder des immeubles dans le territoire d'un autre État 46. Mais ils reconnurent bientôt que les ligues grecques étaient pour eux sans grands dangers et ils en autorisèrent le rétablissement 47. Cette concession leur valut même beaucoup de gratitude de la part des peuples grecs, plus attachés peut-être aux noms qu'aux choses, et qui furent heureux de recouvrer les apparences, sinon la réalité du passé. Les ligues se reformèrent, et il est facile, à l'aide des inscriptions, de constater leur existence pendant toute la durée des deux premiers siècles de notre ère u. Mais ce qui prouve bien qu'elles n'avaient pas d'importance réelle, c'est qu'elles avaient quelquefois des magistrats communs. Flavia Lanica était grande prêtresse à vie de la confédération des Béotiens et de celle des Phocidiens 68. Damasippe était La confédération, pour les Béotiens comme pour la plupart des autres peuples grecs, était la mise en commun des forces militaires et des intérêts nationaux. Mais chacune des cités fédérées conservait ses libertés municipales et même ses lois privées. Nous avons donc à parler : 1° de l'organisation fédérale, 2° du régime particulier des cités béotiennes. tenait aux béotarques (Botaoz«pyat) u, magistrats élus par chacune des cités fédérées et dont le nombre varia par conséquent avec le nombre des membres de l'association. Lors de la bataille de Délion, en 424, il y avait onze béotarques 52 (et non pas douze ni treize, comme le prétendent plusieurs historiens 53, qui comptent deux fois les béotarques représentant la ville de Thèbes). A la bataille de Leuctres, il y en avait sept 54, et il est vraisemblable que tous les béotarques étaient à ce moment réunis 55. Pausanias nomme quatre béotarques qui combattirent aux Thermopyles te ; mais il n'y eut alors d'engagée qu'une partie des troupes béotiennes, et d'autres béotarques étaient restés avec le gros de l'armée. Chacune des cités nommait un béotarque; Thèbes seule avait le droit d'en nommer deux 57. Beeckh explique cette singularité en disant que l'un des béotarques thébains représentait Thèbes, et l'autre une des cités, jadis indépendantes, que Thèbes avait soumises à sa domination 5B. Mais, si cette raison était vraie, d'autres cités auraient dû avoir une double représentation, puisqu'elles tenaient également dans leur dépendance des cités primitivement autonomes 59. L'exception faite en faveur de Thèbes résultait plutôt de la situation prépondérante que cette ville occupait dans la ligue. Une fois même, après le retour de Pélopidas et des exilés, Thèbes nomma trois béotarques 80. Il est vrai qu'il s'agissait alors de reconstituer la ligue que les Lacédémoniens avaient brisée, et il était utile que les Béotiens disposés à se révolter contre Sparte eussent plusieurs chefs autour desquels ils pussent se grouper. Chaque béotarque était élu (aipeîs(ç) fit par l'assemblée du peuple (ixl w(m) 62 de la cité qu'il représentait. L'élection était faite pour un an. Le magistrat nommé entrait en charge au solstice d'hiver 63, c'est-à-dire au commencement de l'année thébaine, et il devait résigner ses fonctions au commencement de l'année suivante. S'il les conservait au delà du terme légal, il s'exposait à une action capitale 64 Il était d'ailleurs rééligible indéfiniment. Bien qu'ils fussent magistrats de la confédération, les béotarques n'étaient responsables qu'envers la cité qui les avait élus. C'étaient eux qui donnaient tous les ordres relatifs à la formation et à la convocation des corps de troupes que la cité devait envoyer dans l'armée fédérale 85. Réunis, les béotarques formaient un conseil de guerre qui délibérait sur la direction à donner aux opérations militaires 66. Les décisions étaient prises à la majorité des voix 87. Chaque béotarque commandait les troupes de la ville qui l'avait nommé. Le commandement en chef paraît avoir été habituellement exercé, à tour de rôle, par les béotarques de Thèbes 6". Les béotarques devaient rendre compte aux quatre sénats de la manière dont ils exécutaient leurs décisions. Mais, en fait, ils paraissent avoir eu une grande liberté d'action. BOE 717 BOE L'hipparque des Béotiens 65, commandant en chef de la cavalerie de la fédération, et le commandant du bataillon sacré 70, étaient naturellement sous les ordres des béotarques. Au-dessus de ces magistrats siégeaient quatre corps délibérants, les quatre sénats des Béotiens, «E TÉQ?otpEÇ f oua«1 TôOV Bocat to 7L. L'explication de cette pluralité de sénats est assez embarrassante. Suivant quelques auteurs, elle correspondrait à une division de la Béotie en quatre régions; suivant d'autres, chacun des quatre sénats aurait eu des attributions spéciales, et l'expédition des affaires aurait été divisée entre eux. Les rares documents que nous possédons ne nous permettent pas de nous faire une opinion. Ce qui paraît seulement établi, c'est que, dans les circonstances importantes, les quatre sénats se réunissaient en une assemblée unique 7E. Nous ne pouvons rien dire du nombre des sénateurs, de leur mode de recrutement, de la durée de leurs fonctions, etc. II est seulement probable que leur lieu de réunion habituel était aux environs du temple d'Athéné Itonia. C'est là, dit Pausanis, que les Béotiens se rassemblaient E'Ç 'd o xotvèv sidUoyov 73. Ce temple était du moins le sanctuaire préféré de la ligue, et la fête solennelle des Pamboetia y était célébrée. A l'époque romaine, l'organisation que nous venons de décrire avait reçu quelques modifications. Le premier magistrat de la confédération portait alors le titre d'xpxsv Ev pense qu'on le prenait habituellement parmi les Thébains n ; mais les inscriptions montrent qu'on pouvait le prendre ailleurs "Al faut bien se garder d'une confusion, dans laquelle sont tombés des auteurs, entre l'archonte éponyme, chef de la confédération, et l'archonte éponyme des cités. La différence entre ces deux magistrats est nettement marquée dans plusieurs décrets qui mentionnent successivement 1'à'pxcev iv xocvw BocoyTwv, et l'archonte de la ville qu'intéresse le décret 77. Il ne faut pas non plus voir en lui l'un des béotarques 78; car d'autres inscriptions le distinguent de ces derniers magistrats 79 A la même époque, les inscriptions mentionnent sept â pESpc«TEéov,sEÇ 80. Bceckh pense que les magistrats ainsi dé signés sont les béotarques 81. Mais leur titre convient mieux aux membres d'un sénat, et il faut probablement voir en eux des délégués, des commissaires désignés par les sénateurs 88. A. côté d'eux figure le secrétaire de la ligue. térieur des diverses cités qui faisaient partie de la confédération béotienne était généralement uniforme. A Thèbes, à Orchomène, à Copae, à Thespies, etc., on trouve les mêmes magistrats. Il paraît résulter de plusieurs inscriptions de Mégare 83 que les villes qui entraient dans la confédération devaient renoncer à leurs anciennes magistratures et adopter le régime des cités béotiennes. A Thèbes, dans les temps héroïques, le gouvernement fut monarchique 84, héréditaire et absolu. Le pouvoir, que l'on désigne sous le nom de pouvoir royal, s'y transmet de père en fils, de mâle en mâle et par ordre de primogéniture 85. Lorsque, à certaines époques, des chefs qui n'appartiennent pas à la descendance de Cadmus, Zéthus et Amphion, par exemple, parviennent au trône, ils sont qualifiés d'usurpateurs, et, quand ils tombent, on rétablit la postérité du fondateur. Si le prince est trop jeune pour pouvoir administrer par lui-même, son père en mourant lui désigne un tuteur, et celui-ci gouverne au nom du mineur. -11 en était de même à Orchomène et dans les autres cités 86. Pour juger ces royautés absolues de la Grèce antique, il ne faut pas se placer au point de vue de nos idées modernes. L'autorité du roi ne devait guère s'exercer que sur les matières religieuses ou militaires. Son rôle en ce qui concerne l'administration même du pays ne devait être ni très-considérable, ni très-essentiel, quand! on songe que tous les souverains de la Grèce purent rester pendant dix ans éloignés de leur pays sans communiquer avec lui, et que leur pouvoir n'en souffrit pas à l'excès. Il y avait au-dessous d'eux une aristocratie puissante, qui, de temps à autre, affirmait ses droits, et sur laquelle reposait véritablement le gouvernement. C'est ce qui explique comment la royauté disparut sans secousses, sans révolutions, pour faire place à la république. A Thèbes, cette aristocratie qui limite la royauté se révèle dès le temps de la guerre de Troie. Le fils de Thersandre lui paraît trop jeune pour commander les Thébains dans cette grande expédition ; elle nomme un autre chef qui dirigera l'armée. Plus tard, quand la postérité de Cadmus s'éteint, c'est encore le suffrage qui porte Damasichthon à la royauté. Enfin, quand Xanthus meurt en combat singulier, l'aristocratie juge inutile de lui donner un successeur et proclame la république. A. l'époque historique, quel était le caractère des républiques béotiennes ? Quoique l'on rencontre des institutions démocratiques, l'assemblée du peuple, la désignation par l'élection ou par le sort des magistrats les plus considérables, la forme du gouvernement devait être plutôt aristocratique que démocratique. Nous savons, en effet, que les Béotiens considéraient l'agriculture et l'industrie comme des occupations peu honorables, et qu'ils les délaissaient presque complétement à la classe inférieure, formée en majeure partie des descendants des habitants primitifs du pays. Nous savons aussi que, à Thèbes, nul ne pouvait parvenir aux magistratures, si, depuis moins de dix ans, il avait exercé un métier 87. Les lois données aux Thébains par Philolaüs, lois qui avaient principalement en vue le maintien d'un nombre déterminé d'héritages 88, qui assuraient par conséquent la conservation des propriétés immobilières entre les mains de la noblesse, étaient évidemment des lois aristocratiques. A Thespies, la prépondérance appartint pendant longtemps à sept familles qui se disaient du sang d'Hercule 69. A Orchomène, le pouvoir était entre les mains des chevaliers 90. Aussi, au temps de la guerre du Péloponèse, Thèbes déclarait qu'une oligarchie isonome était déjà BOE 718 BOE à ses yeux une forme très-avancée de gouvernement". Il ne faut donc pas être surpris de voir que les Béotiens eurent pendant longtemps pour alliés naturels les Lacédémoniens dont la constitution s'accordait avec leur régime oligarchique mieux que les démocraties d'Athènes ou d'Argos 99. Les scissions qui se produisirent quelquefois dans la ligue béotienne vinrent même, pour la plupart, de ce que la démocratie, là où elle prenait racine, ne se sentait pas assez près d'atteindre le pouvoir. Platée, qui dut sans doute à son voisinage d'Athènes ses tendances démocratiques, se détacha de la fédération et s'adjoignit aux Athéniens. Les démocrates de Thespies, pour protester contre l'attitude de l'aristocratie entachée de médisme, allèrent au nombre, de sept cents combattre aux Thermopyles. On trouve à côté d'eux quatre cents Thébains, également démocrates, envoyés par l'oligarchie de Thèbes ; celle-ci fut heureuse d'employer, pour se débarrasser de ses adversaires, un moyen, si honorable en apparence, auquel les gouvernements grecs eurent plus d'une fois recours 99. Cà et là, la démocratie apparaissait quelquefois, mais toujours avec l'assistance de l'étranger. Ainsi la victoire des OEnophytes, en 436 av. J.-C., permit aux Athéniens d'établir des gouvernements démocratiques à Thèbes et dans la plupart des villes de Béotie, après avoir préalablement contraint les chefs de l'aristocratie à s'exiler. Mais ces démocraties, celle de Thèbes notamment, ne se signalèrent que par leur désordre et par leur anarchie 96. Les exilés, réunissant leurs forces et concertant leurs mesures avec les amis qu'ils avaient conservés dans l'intérieur des cités, reprirent Chéronée, Orchomène et quelques autres cités moins importantes. Les Athéniens essayèrent de venir au secours de la démocratie ; ils furent complétement battus à Coronée. Le gouvernement démocratique fut partout renversé, et, en 447, les villes de Béotie avaient repris leur forme de politique traditionnelle : l'aristocratie 9J. Il ne faut pas toutefois perdre de vue que, malgré ses préférences marquées pour l'aristocratie, la Béotie, comme presque tous les autres États grecs aristocratiques, marchait insensiblement vers la démocratie. L'allure de toutes les cités n'était pas la même, Thèbes arriva plus vite au but qu'Orchomène et la rapidité de sa marche ne fut pas sans influence sur sa prépondérance intérieure. Quant à sa grandeur extérieure, elle commença le jour même où Thèbes adopta un gouvernement nettement démocratique. Il est vrai que sa bonne fortune lui donna en même temps deux hommes d'État hors ligne, Epaminondas et Pélopidas, à qui revient la plus grande part de ses succès 99. Mais la joie que le peuple éprouva en se voyant doté d'institutions qu'il désirait depuis longtemps, et qui jusque-là lui avaient toujours été refusées, l'ardeur qu'il mit à défendre ses conquêtes politiques contre les ennemis du dehors qui voulaient les lui enlever, contribuèrent certainement aux victoires de Thèbes sur Sparte 97. Dans chaque cité, on trouve, à la tête de la hiérarchie des magistratures, un âpzesv, dont le nom sert à dater les décrets de la cité, et qui par conséquent était éponyme. Il ne semble pas que ce magistrat ait joué à l'époque historique un rôle bien actif dans le gouvernement. Peut-être devait-il le rang élevé qu'il occupait dans la cité à cette circonstance qu'on voyait en lui le successeur et le continuateur direct des anciens rois, dont le souvenir s'était conservé en Béotie comme dans toutes les autres parties de la Grèce 99. II serait aisé d'expliquer ainsi pourquoi il était regardé comme sacré, pourquoi au point de vue religieux il était le représentant spécial de la patrie, pourquoi enfin il était chargé de certains sacrifices 99. A Thèbes, l'archonte était l'élu de la fève : 6 xo«µtmmcos épyoov, c'est-à-dire qu'il était désigné par le sort ; comme emblèmes de sa dignité, il portait une couronne et une lance 100. A Chéronée, l'archonte portait une couronne, il devait laisser croître sa chevelure, la loi lui défendait de porter aucune arme et de mettre le pied sur le territoire de la Phocide 101. A Platée, l'archonte ne pouvait pas habituellement porter d'épée et son costume était blanc ; par exception, le jour anniversaire de la bataille de Platée, il était vêtu d'une robe de pourpre et il mettait une épée à son côté 192 Immédiatement au-dessous de l'archonte éponyme était un collège de polémarques ; on en trouve trois à Orchomène '«et non pas six comme l'a dit Boeckh 106), deux à Copae 105, etc., auxquels était adjoint un agent remplissant les fonctions de greffier (ypop.v.areûs) 106. Leurs attributions paraissent avoir été assez importantes ; car Cornélius Népos les qualifie de maximi magistratus907. Malgré l'étymologie de leur titre, ils ne commandaient pas en temps de guerre les troupes de la cité ; ce comrnandement appartenait, en effet, aux béotarques de la confédération. Ils ne paraissent même pas avoir exercé en général de commandement en sous-ordre ; car les hoplites étaient sous la direction des morages, les cavaliers sous celle des bipparques SOS et des ilarques. Mais c'étaient les polémarques qui présidaient aux levées de troupes et leurs noms figurent en tête des catalogues de soldats 109. Ils avaient aussi des attributions financières, et nous les trouvons associés aux x«zd7erxt pour la surveillance de certains payements 116 Peut-être même avaient-ils des attributions judiciaires 111; ils pouvaient au moins faire emprisonner des citoyens 112 Les inscriptions nous permettent d'affirmer l'existence à Orchomène et probablement à Thèbes d'autres magistrats nommés x«tid7 rzt, qu'Hésychius appelle des inspecteurs (xzT«axonot) et des contrôleurs (ùtmpl-7u() 113 Leurs attributions paraissent analogues à celles des logistes et des euthynes d'Athènes. Une inscription antérieure au ne siècle avant notre ère nous montre les x«Td79T«t d'Orchomène assistant, avec les polémarques, au payement par le trésorier de la cité de sommes dues par Orchomène à un Phocidien 116. Plus tard, dans un acte de consécration d'une esclave à Sérapis et à Isis, deux >tourdTenu sont mentionnés à la place que les hiérarques (tep«p/at), magistrats de l'ordre religieux, occupent habituellement dans les inscriptions du même genre "'. Dans un décret de la ligue béotienne 116, les xaT67rTat d'une ville qui n'est pas désignée assistent avec les polémarques à la remise, faite par les hiérarques à des commissaires spéciaux, d'objets consacrés à Amphiaraüs, qui doivent être réparés ou refondus ; ils dressent procès-verbal de la remise, puis figurent au contrat de louage d'ouvrage formé avec les orfèvres ; le travail terminé, ils assistent à la livraison de l'ceuvre et reçoivent des trésoriers le compte des dépenses qu'elle a occasionnées 117. Citons encore les trésoriers (o] Tau(2t), formant un collége de plusieurs membres 118, à la tête desquels est un président, Totg.(aç t apoâpxwv 719. Les divers membres du collége remplissaient à tour de rôle les fonctions de trésorier 120, ou se partageaient les affaires rentrant dans leurs attri que l'on peut comparer aux ativttxol des Athéniens. Le pouvoir délibérant, d'après les plus anciennes inscriptions, appartenait au peuple (ta eoç) 123. On trouve cependant, de très-bonne heure, dans les textes classiques 484 la formule, si commune dans les inscriptions de l'époque romaine :1) Ç ouall xal t Sri coç. Suivant quelques épigraphistes, le mot auvllptov, qu'on rencontre dans d'autres inscriptions, serait presque synonyme de 13ouaoj, et les sénateurs auraient porté le nom de aweipot. Cela peut être vrai pour la période impériale 225; mais les inscriptions en dialecte béotien, c'est-à-dire antérieures au ne siècle avant notre ère, et les inscriptions d'une époque voisine, qui parlent de auvlIpta à Chéronée, à Orchomène, à Thespies 126, sont des inscriptions religieuses. Nous serions porté à croire que les cévo pot sont alors, non pas les membres d'un sénat politique, mais les membres de quelque pieuse association. Sous les Romains, on trouve tantôt la mention du peuple seulement 127, tantôt celle du sénat et du peuple 128, tantôt L'assemblée du peuple était présidée, non pas par l'archonte éponyme, mais par une sorte de proèdre, qui mettait aux voix les projets discutés (r7tor ptSto 136) Le pouvoir judiciaire, au temps d'Épaminondas, appartenait à des juges désignés par le sort 131. Quant aux cités moins importantes, qui étaient rattachées dans une sorte d'union et de dépendance aux cités fédérées, elles avaient, comme les cités autonomes, leurs magistrats particuliers, leurs assemblées, leurs conseils, et pouvaient statuer sur leurs intérêts. Seulement elles n'avaient pas de chefs militaires 132. E. CAILLEn1ER. On possède des monnaies de la ligue 133, qui ont pour marque commune le nom BOIf2TSZN, joint au bouclier à double échancrure, appelé béotien, lequel ne se rencontre pas en dehors de la Béotie [cLlre:us], et au diola ou vase à. deux anses, symbole du culte de Bacchus. La figure 864 montre la réunion de ces emblèmes dans un type dont les exemples sont nombreux : les uns, que leur style fait reconnaître, remontent à une époque fort ancienne ; la plupart datent de la période la plus glorieuse pour ce pays, qui s'étend jusqu'à la guerre contre les Macédoniens et à la destruction de Thèbes par Alexandre. Le nom de Thèbes (oHBAISI.N, oEBH) remplace quelquefois celui des Béotiens : c'est la marque de l'ascendant pris par cette ville. Sur d'autres pièces le nom BOId1TSnN ou Bo1.0, est gravé à côté d'emblèmes propres à l'une ou à l'autre des cités confédérées, et aux images de leurs dieux protecteurs, parmi lesquels Her cule et Bacchus doivent être mis au premier rang. Cérès dont on voit la tête couronnée d'épis sur une monnaie (fig. 865) et Neptune dont la figure est pla cée au revers, sont au nombre des dieux les plus anciennement adorés dans la Béotie 1". On voit à ]a face d'une autre monnaie la tête de Jupiter laurée et au revers la Victoire tenant un trident (fig. 866). Ces monnaies, qui por tent encore le nom BolssTSIN, peuvent avoir été gravées cent ou cent cinquante ans avant notre ère. On a la preuve aussi qu'une convention monétaire existait entre les six villes d'Orchomène, Platée, Haliarte, Lébadée, Tanagre, Thespies (et d'autres encore sans doute) dans ce fait que l'on rencontre des monnaies où l'on ne remarque d'autres différences que le nom des villes ; elles appartiennent au ul° siècle av. J.-C. 135. E. S.